Quand l’émotion devient forme

 

La photographie, pour Karine Malatier, comme pour tous les grands photographie, n’est pas une fin en soi, mais un moyen au service d’une nécessité première: celle de saisir l’émotion produit  par la vision fugace et miraculeuse d’une vérité personnelle qui transcende le simple regard et que l’on veut faire partager. 

 Pour faire partager cette émotion, il faut la mettre en forme et c’est alors que le savoir- faire technique permet de créer son propre vocabulaire plastique et sa propre syntaxe, qui rendent possible l’expression exacte de la vérité sensible, en même temps que son partage et sa compréhension par tous.

 Et c’est cette intensité de l’émotion qui, toujours, génère le langage ou l’écriture qui conviennent pour l’exprimer.

 La force expressive des photographies de Karine Malatier tient dans la sobriété de l’écriture et cette épuration rendue par un noir et blanc qui intensifie le propos ,la lumière intérieure et le mystère poétique.

 Ici, la beauté formelle des images découle naturellement de la beauté native du sujet, de cette innocence et de cette pureté de cœur des humains blancs ou noirs représentés.

 Ici, l’intelligence du cœur devient intelligence plastique.

                                                                                    Pierre Souchaud.


           
                                                         Une étoile brille sur le Sénégal 

 

Un filet de lumière, un fragment d’espace, un peu de temps... Tels sont les éléments fondamentaux qui font, depuis le début du 19e siècle, l’essence et la magie de la photographie. A l’heure du tout numérique, du flux accéléré des images, ou de l’esthétique plasticienne de beaucoup de travaux photographiques, Karine Malatier opte, quant à elle, pour une certaine forme de simplicité, retournant aux sources mêmes de cet art : sobriété du style, parti pris du noir et blanc, compositions épurées... Elle réalise notamment beaucoup de portraits (genre lui aussi atemporel, tant dans les domaines de la peinture que de la photographie), d’enfants surtout, réussissant à capter chez ses jeunes sujets l’intensité d’un regard, le reflet d’une émotion, le passage évanescent d’une « vérité humaine » sur un visage. Nous sommes là proches de ce que Henri Cartier-bresson désignait comme « l’instant décisif », cette fraction de seconde où une réalité devient la plus significative d’elle-même et prend toute sa force. Karine Malatier partage aussi le caractère profondément humaniste de Cartier-bresson, pour qui « photographier c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur... et donc une façon de vivre ».
La logique des émotions
Tristesse, joie, rêverie, détresse, séduction, drôlerie... A Marrakech ou à Dakar, Karine Malatier donne à voir la palette infinie des émotions et des affections humaines. Son travail a d’ailleurs été plusieurs fois récompensé, en 2010 notamment par le premier prix de la Fondation Krys, « la solidarité commence par un regard », présidé par le comédien Jean-Marc barr. Ce regard sans frontières, Karine Malatier le déploie aussi avec humour, en captant les ombres projetées sur un mur de quelques passants citadins. Jeux dans le cadre de la réalité et de ses doubles, d’une échelle à l’autre, et des trois dimensions d’un individu aux deux autres dimensions de son éternel poursuivant (cette ombre projetée que l’on dit à l’origine du dessin, et qui est aussi une dimension essentielle de la photographie). A cette saisie du gris des silhouettes sur une surface minérale peut succéder dans son œuvre, de manière contrastée, une autre série d’images où la photographe surexpose au contraire les surfaces blanches que viennent ponctuer quelques visages ou ouvertures de bâtisses ou de véhicules.
Résistance des visages
La force d’une image réside dans ses capacités de résistance dans ses multiples significations possibles... Et, par fragments de corps successifs, mêlés à la poussière, Karine Matatier a par exemple réalisé une impressionnante série intitulée « Résiste » où deux lutteurs africains sont en prise l’un avec l’autre. Une puissance des corps qui fait écho, autant que différence, avec la puissance émotionnelle des visages d’enfants de ses portraits qui, elle-aussi, « résiste ». Des portraits qui résonnent avec ces mots du philosophe Emmanuel Lévinas : « Le visage se refuse à la possession, à mes pouvoirs. Dans son épiphanie, dans l’expression, le sensible, encore saisissable, se mue en résistance totale à la prise. Cette mutation ne se peut que par l’ouverture d’une dimension nouvelle. En effet, la résistance à la prise ne se produit pas comme une résistance insurmontable comme dureté du rocher contre lequel l’effort de la main se brise, comme l’éloignement d’une étoile dans l’immensité de l’espace. L’expression que le visage introduit dans le monde ne défie pas la faiblesse de mes pouvoirs, mais mon pouvoir de pouvoir. Le visage, encore choses parmi les choses, perce la forme qui cependant le délimite. Ce qui veut dire concrètement : le visage me parle et par là m’invite à une relation sans commune mesure avec un pouvoir qui s’exerce, fût-il jouissance ou connaissance. »
                                                    Jean-Emmanuel Denave.